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Ultreïa ! Plus loin, plus haut... sur les chemins de la sagesse

Ultreïa ! Plus loin, plus haut... sur les chemins de la sagesse

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Midi Libre du 28 décembre 2014
Le marchand qui lit la vie au fil symbolique des tapis

Jean-Michel Testard vient de décortiquer la langue des tapis pour la revue ‘Ultreïa’.

Midi libre 24 dec 2015La revue Ultreïa , qui se propose d’embarquer le lecteur «dans un voyage terrestre et spirituel » , comme l’indique Florence Quentin, sa rédactrice en chef, vient de faire étape à Nîmes pour son premier numéro.

Dans un commerce comme on n’en voit plus beaucoup, boulevard Gambetta, chez le marchand de tapis passionné d’orientalisme Jean-Michel Testard, expert auprès de la salle des ventes ; et par ailleurs vice-président de la chambre de commerce. Les spécialistes de la revue savante sont venus lui demander d’expliquer ce que disent les tapis artisanaux traditionnels et ce que leurs motifs symbolisent.

« Quand on demande à une tisseuse ce qu’est le dessin qu’elle fait, elle a du mal à répondre. Elle sait dans quel but elle le fait, elle le tient d’une transmission orale mais sans plus car seul importe le résultat : ce motif-là, c’est pour que l’enfant aime sa maman, celui-ci, c’est pour qu’il s’accroche à la vie, cet autre, c’est pour qu’il protège la famille » , explique Jean-Michel Testard.

Tisser, tissus, apprentissage Autrement dit, les tapis véhiculent, souvent de mère en fille, quantité de messages depuis leur invention – il y a près de 10 000 ans – et ces messages relèvent d’un langage universel que l’homme moderne, qui n’a pourtant jamais été aussi lettré, ne sait plus guère interpréter.

« Affiz, mon maître d’apprentissage dans le sud de l’Afghanistan où j’ai été envoyé à l’âge de 15 ans pendant deux ans pour apprendre à réparer les tapis, me disait que le progrès sépare les hommes. Je n’étais pas d’accord, évidemment, mais il m’a expliqué que le Sumérien de Mésopotamie a inventé le tissage pour communiquer avec tous les hommes. Mais que ceux-ci ont commencé à moins se comprendre il y a près de 4 000 ans, avec l’invention de la première écriture, l’écriture cunéiforme. Avec une écriture, autrement dit un langage réservé aux savants, les hommes se coupent les uns des autres, l’homme de rien comme le nomade, incapable d’écrire, continuant à communiquer par des signes hérités des anciennes croyances chamaniques. »

Pour éclairer la puissance et l’universalité du langage des tapis autour de signes et de mêmes symboles que l’on retrouve aussi bien dans l’Atlas qu’en Asie centrale et chez les indiens Navajos, Jean-Michel Testard n’hésite pas à broder, non sans gourmandise, sur la symbolique du tissage elle-même, qui a discrètement modelé la façon de penser des hommes et de dire le monde : tisser des fils, c’est créer du tissu, c’est lier par tissage, ce sont les hommes unis, le mélange des fils, le métissage, le tissu social, le lien social, le vivre ensemble. Avec du fil, le fil de la vie, le même pour tous mais tous différents, noués pour donner une trame, la trame sociale,la trame du discours, le fil de la pensée…

« En latin, il n’y a qu’un mot, textus , pour dire tissage et texte. Le tissage, c’est le plus ancien métier du monde, et la transmission des savoirs, l’apprend-tissage, terme qui symbolise encore tout, dix mille ans après » s’amuse Jean-Michel Testard.

Retour au langage universel : les Berbères font des motifs beige et marron, les mêmes que ceux des Navajos. « Si on leur demande pourquoi ces deux couleurs, ils disent qu’ils ont toujours fait ça. En fait, l’alternance marron-beige, c’est l’alternance masculin-féminin. Si le cadre n’a pas de bordure, ça veut dire sans fin, de génération en génération. Absence de bordure symbolise éternité. » Pour Ultreïa , le Nîmois dit notamment  que si la femme enceinte tisse une fleur de chardon sur la laine, c’est pour que son enfant s’implante bien dans son ventre. Jean-Michel Testard raconte aussi un peu les deux années qu’il a passées en Afghanistan et les leçons de vie que son maître d’apprentissage Azziz lui a données. Des souvenirs qu’il est en train de coucher sur le papier pour un livre qu’il prépare.

PHILIPPE BERJAUD

 

‘Ultreïa’, livre magazine trimestriel de 220 pages (www.revue-ultreia.com).

Galerie d’art oriental Jean-Michel Testard, 6 boulavard Gambetta. www.galerie-testard.fr.

DES SYMBOLES

La production de tapis de nomades est au plus mal du fait de la disparition des tribus au profit de l’essor des produits manufacturés. De ce fait, ce moyen de communication s’éteint peu à peu.

Le destin : l’étoile à huit branches La croix était déjà le symbole de l’homme au Néolithique, l’esprit (axe vertical), la matière (axe horizontal). Croiser les croix, huit branches qui figurent sur les tapis musulmans et les tapis chrétiens, symbolise les hommes, leur destin commun, l’universalité.

L’éternité : le coq, l’oiseau Le coq tissé, qui est offert à la naissance de l’enfant, symbolise la lumière, celle du jour et celle de l’éternel. On lui offre ainsi l’éternité. L’oiseau permet le voyage de l’âme au ciel (il la véhicule) au moment de la mort. Il rappelle que l’homme n’est que de passage, acceptation que l’Occidental a d’ailleurs plus de mal à faire sienne que l’Oriental.

PHILIPPE BERJAUD