« L’état suprême de la beauté est la grâce, or dans le mot grâce, on entend la bonté, car la bonté est la générosité d’un principe de vie, qui se donne indéfiniment. Donc à travers le mot grâce, beauté et bonté ne font qu’un.”
Henri Bergson
En français, “grâce” signifie à la fois beauté et bonté, deux mots tous deux issus du latin, bellus et bonus, lesquels viennent d’un seul mot indo-européen : dewnos. La bonté serait alors le garant de la qualité de la beauté. C’est dire combien les qualités morales et spirituelles irriguent véritablement le corps et sont garantes de son rayonnement.
Car, oui, on peut affirmer que le corps est bien autre chose qu’un véhicule toujours utile et parfois agréable : pour nombre de sociétés humaines, qu’elles soient d’Orient ou d’Occident, celui-ci est intimement tissé de sacré, et comporte une dimension intérieure, œuvrant en miroir de son apparence dans le monde phénoménal. Nous nous sommes donc interrogés sur les liens qu’entretenaient corps et sacré, à travers expériences vécues, pérégrination dans les rites et traditions du monde, exploration du symbolisme attaché à la nudité sacrée et à la pudeur, plongée dans les arcanes d’un corps “autre”, qu’il soit “de Gloire” ou “tunique de lumière”, tout autant que dans les sept chakras. Des énergies que l’Inde maîtrise depuis des millénaires, comme elle le fait d’une métaphysique exigeante, ainsi de la Non-Dualité ou Advaïta. Son représentant le plus emblématique demeure Shankara ( VIIIe siècle ), comme nous le rappelle l’indianiste Michel Hulin : il fut réformateur religieux et instigateur d’une méthode permettant à chacun d’accéder par l’ascèse à l’état de pure conscience.
De maître spirituel il est aussi question avec ce portrait au cordeau du “chevalier” humaniste et héritier spirituel d’Ibn ‘Arabî, l’émir Abd el-Kader : Ahmed Bouyerdene, qui lui a consacré plusieurs essais, revient sur le destin d’exception de l’auteur du Livre des Haltes pour lequel “l’exercice des vertus est un remède contre les effets délétères du pouvoir sur l’âme de celui qui l’exerce”. Message d’une brûlante actualité…
Nous avons eu aussi le privilège de rencontrer en exclusivité un autre sage de la tradition soufie, disciple du maître malien Amadou Hampâté Bâ : Ismaël Diadié Haïdara, qui, depuis Grenade, nous a conté le fabuleux voyage de plus de 12 000 manuscrits, qu’il a sauvés de la destruction lors de l’invasion de Tombouctou, en 2012, par les islamistes. Ou comment l’écrit parvient envers et contre tout à triompher de l’aveuglement et de la barbarie.
“La beauté sauvera le monde”, écrivait Dostoïevski : le photographe Éric Lafforgue ne le contredira pas, qui a parcouru la corne de l’Afrique, Djibouti, l’Éthiopie et le Yémen et rend ici hommage à cette quête du beau qui fait de simples femmes – pourtant harassées par les tâches quotidiennes – de pures déesses.
L’écrivain Aliette Armelle s’est quant à elle longuement entretenue avec François Cheng, poète, calligraphe, et lui aussi chantre de la beauté lorsque celle-ci est chemin vers la transfiguration, c’est-à-dire “ce qui transforme de l’intérieur” :
“En ces temps de misères omniprésentes, de violences aveugles, de catastrophes naturelles ou écologiques, parler de la beauté pourrait paraître incongru, inconvenant, voire provocateur. Presque un scandale. Mais en raison de cela même, on voit qu’à l’opposé du mal, la beauté se situe bien à l’autre bout d’une réalité à laquelle nous avons à faire face. ( … ) Ce qui est en jeu n’est rien de moins que la vérité de la destinée humaine, une destinée qui implique les données fondamentales de notre liberté. »
Au fil de ce numéro retrouvez nos chroniques :
Mosaïque du Ciel par Olivier GERMAIN-THOMAS – Chemin d’Aubrac
Méditer en chemin par Fabrice MIDAL – La méditation, porte d’entrée de l’œuvre d’art
Le fil de l’émerveillement par Bertrand VERGELY – Vivants mais non matérialistes
Ubiquité de la prière par Christiane RANCÉ – À l’origine de l’art
L’instant soufi par Éric GEOFFROY – La « Religion axiale »
Il n’y a qu’une seule religion par Patrick LAUDE – La confusion du psychique et du spirituel
La couronne du royaume par Frank LALOU – « N’oublie pas que tu as été étranger en Égypte »
Le buffle et la tortue par Cyrille J.D.JAVARY – « Piété filiale » ou « culte des ancêtres »?
Symbolique universelle d’un signe, d’une gestuelle, d’un rite ou d’un mythe…
Phares
Michel HULIN
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