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“ … il existe une autre alternative que celle de se procurer les superfluités ;
et c’est de s’aventurer dans la vie présente.”
Henry David Thoreau (1817-1862)
S’aventurer dans la vie présente ? Quelle salubre invitation nous lance par-delà les siècles le “poète des bois” américain, le philosophe à la vie dépouillée, vers lequel les regards des amoureux de la nature, des chantres de la frugalité et de l’autosuffisance convergent aujourd’hui.
Trois figures essentielles de ce numéro se sont ainsi délestées des “superfluités” pour dégager, parfois radicalement, leur Voie de ses ronces : le trappiste Thomas Merton, mystique et poète lui aussi, artisan infatigable de la paix, le cheikh al-‘Alâwî, rénovateur du soufisme à la majestueuse stature, et René Daumal, en quête inlassable, en lui, de “la personne que rien ne trouble”. Nous sommes partis sur ses traces dans les Hautes-Alpes, là où il puisa, entre air des cimes et “eau miraculeuse”, la matière de son roman initiatique Le Mont Analogue.
L’idée d’ascension, d’élévation est intimement liée à celle de retrait du monde, de mise à distance. Prendre de la hauteur, se tenir au-dessus et en dehors des vicissitudes mondaines, se rapprocher des cieux, des exercices que les moines du Mont Athos, ces “athlètes de Dieu”, pratiquent quotidiennement, comme d’autres le font d’un sport de combat. Ferrante Ferranti, qui a eu le privilège, “loin de l’activisme forcené des villes”, de séjourner sur la Sainte Montagne à plusieurs reprises, nous a rapporté un reportage tout illuminé de ces cierges qui brûlent incessamment dans les monastères voués, entre autres, à Marie Theotokos.
Hauteurs que dépassent nos yeux ébahis lorsqu’ils se tournent vers un cosmos engendrant depuis toujours un double mouvement en l’homme : à la fois vertige et attraction métaphysiques. L’astrophysicien Trinh Xuan Thuan, qui, en virtuose, tisse pensée scientifique et philosophique dans l’entretien qu’il nous a accordé, fait quant à lui le pari “qu’il y a quelque chose qui règle l’univers dès son origine”.
Et ce n’est rien d’autre, au fond, que déploient les images d’Olivier Grunewald, en célébrant l’incandescence des volcans, le “bal des aurores boréales”, les cascades jaillissant des entrailles de la terre. Devant cette symphonie à la manière beethovénienne, il nous semble assister, tel un nouvel Hymne à la joie, au premier matin du monde.
Face à cette nature puissante et redoutable et à la nécessité de nouer un dialogue entre ciel et terre, les religions et philosophies du monde ont toutes conçu des invocations qui se disent dans le secret du cœur mais peuvent tout autant se chanter, se danser, se psalmodier. Notre dossier présente l’essentiel de ces pratiques, dont la puissance invocatoire n’a jamais faibli, qui éveillent la conscience et soutiennent dans l’adversité. Des formules opératives qui nous rattachent à l’Essentiel tout en nous ancrant dans le corps, loin du brouhaha constant et souvent sans objet de notre époque surconnectée.
L’auteur de Walden (1) , qui conjoignait en lui pensée du sublime et prises de positions subversives, est encore là pour réveiller notre torpeur contemporaine : “Si vous avez construit des châteaux dans les nuages, votre travail n’est pas vain ; c’est là qu’ils doivent être. À présent, donnez-leur des fondations.”
(1) H. D. Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, Éd. Climats (2015).
Au fil de ce numéro retrouvez nos dix chroniques :
Mosaïque du Ciel par Olivier GERMAIN-THOMAS – La lumière de l’ombre
Méditer en chemin par Fabrice MIDAL – L’énigme de la créativité
Le fil de l’émerveillement par Bertrant VERGELY – L’île de la révélation
Ubiquité de la prière par Christiane RANCÉ –La pierre qui murmure à l’oreille des chamans
L’instant soufi par Éric GEOFFROY – La citadelle intérieure
Il n’y a qu’une seule religion par Patrick LAUDE – Sagesse des limites et soif d’Infini
La couronne du ciel par Franck LALOU – La table est servie
De ce coté du ciel par Pascal RUFFENACH – Prière pour les migrants
Le buffle et la tortue par Cyrille J.D.JAVARY – Vers le « ciel » ou vers le « Ciel »?
D’Orient et d’Occident par Jean MONCELON – Dans le secret du coeur
Symbolique universelle d’un signe, d’une gestuelle, d’un rite ou d’un mythe… 4 pages illustrées par Stéphanie LEDOUX.
Phares
Éric GEOFFROY
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